C’est dans l’air du temps, on entend parler dans les médias de la tribu des « polyamoureux », ils semblent avoir leur langage, leurs codes, leurs espaces … Mais qui sont-ils précisément ? Que disent-ils de notre société ? Peut-on les rejoindre ?
Pour en savoir plus, nous avons rencontré Scott Buckley, initiateur du mouvement toulousain.
Bonjour Scott, qui es-tu ? Qu’est-ce qui t’as amené à t’investir sur le sujet du polyamour ?
Je crois qu’à un moment, j’ai commencé à considérer l’amour exclusif comme une impasse, du moins pour moi, je ne m’y retrouvais plus. Je trouvais que ça manquait d’honnêteté parce que si j’avais des désirs pour quelqu’un d’autre, même juste l’envie de tendresse, je savais que dans un couple classique ce serait interdit, c’est souvent vite compliqué.
J’ai découvert le « polyamory » en 2008-2009 et depuis j’ai eu deux relations « monoamoureuses », au bout de la deuxième, je me suis dit que ce n’était plus possible.
A l’époque j’habitais à Lyon, je me suis rapproché du forum*, et on a commencé à organiser des cafés polys là-bas, c’était génial. On se posait des questions, on s’interrogeait, on avait les mêmes valeurs, et en même temps on était de profils très différents (âge, milieu social…). Quand je suis arrivé ici à Toulouse, en 2013, il n’y avait pas encore de dynamique, on a lancé petit à petit les cafés. Le groupe ouvert de personnes qui se retrouvent a fini par grandir, on a fait un groupe facebook, en 2 ans il y a plus de 120 personnes qui sont venues au moins une fois.
Peux-tu définir ce qu’est le polyamour ?
C’est pas facile en français, c’est plus précis dans la définition en anglais, « polyamory » veut dire « consentir à avoir des relations intimes avec une ou plusieurs personnes », des relations assumées, réciproques. Tout le monde est au courant, se protège des IST, ce n’est pas de l’adultère, ce sont des relations affectives, intimes, avec plusieurs personnes.
Le fait d’y consentir laisse encore plein de portes ouvertes, on peut être dans des configurations hétérosexuelles, bi, homos, des relations à distance, retrouver des ex, se remettre avec eux tout en gardant notre relation actuelle et en l’ouvrant, ça peut être des personnes qui continuent à faire du libertinage, des familles élargies, de la coparentalité où plusieurs adultes responsables s’occupent des enfants…
L’avantage c’est qu’il n’y a pas de mensonges, beaucoup de communication, c’est assumé.
On entend parler de polyamour de plus en plus dans les médias en France, qu’est-ce que ça dit sur notre société ?
Je dirais qu’il y a eu la génération Simone Veil, avec l’avortement et la pilule, ils ont vécu plein de choses, puis il y a eu la génération de leurs enfants, j’en fait partie, c’est une génération qui a eu les années Sida, les parents divorcés… Il se passe quelque chose aujourd’hui, ça craque à plein de niveaux, social, économique, et le polyamory ce n’est pas un nouveau modèle, une nouvelle religion, loin de là, mais c’est une ouverture en plus qui permet de s’inventer une vie de couple ou une vie relationnelle à tous les âges de la vie, qui permet de se poser plein de questions, avec une éthique, on n’est pas dans n’importe quoi. On fait attention aux maladies, on est féministes, on ne veut pas que la femme soit le larbin qui reste à la maison tandis que l’homme est au resto avec ses 3 maîtresses et ses 4 amants, on est une génération qui essaye d’avoir sa propre révolution sexuelle quelque part, post-mai 68, une deuxième révolution sexuelle peut-être.
Beaucoup de gens communiquent avec leurs smartphones, Facebook a un statut « open relationship » (relation ouverte) et des millions de gens sont inscrits dans cette catégorie… Tous ces éléments-là font que les conditions sont plus facilement réunies pour vivre tout ça, c’est un mixte, pas un seul facteur.
Il faut aussi que la culture suive, c’est hyper important, s’il n’y a pas de films, de bouquins, de cafés polys, les personnes ne savent pas que ça existe, ça n’évoluera pas. Il faut des mots et plus de discussions ouvertes à ce sujet.
On a tous grandi dans une culture qui valorise la monogamie, qui en fait quelque chose d’universel. Comment fait-on alors pour s’en affranchir et vivre concrètement le polyamour ?
Pour plein de personnes, c’est difficile, car la culture dominante ce n’est pas du tout ça en effet, on n’en parle jamais dans les films ou bien ça se termine mal. Il y a ce truc de devoir « trouver la bonne personne », « le prince charmant », et nous on doit nager à contre-courant et donner confiance aux personnes, leur donner de l’estime de soi, etc. Il y a un travail de discussion, il faudrait mobiliser des artistes pour faire des films, des BD… que ça entre dans la culture populaire. Que Walt Disney fasse des films où la nana finisse avec le mec et la nana ! Plein de personnes le vivent, y compris des gens un peu connus, mais ils se cachent.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles se heurtent les personnes qui débutent le polyamour ?
L’un des grands classiques, c’est l’insécurité affective : « s’il va voir ailleurs, c’est qu’il ne m’aime plus, ça va briser le couple ». On pourrait appeler ça aussi de la jalousie, mais c’est un terme moins subtil. Là c’est un truc que n’importe quel bébé a, il ne sait pas si son père ou sa mère va revenir, ça le fait pleurer, c’est assez ancestral je pense. Comme à la naissance d’un petit frère ou d’une petite soeur. C’est difficile de partager le gâteau. On aborde donc cette question-là aux cafés polys, comment on peut assurer, réassurer l’autre, lui donner du confort, on propose des exercices pratiques comme dans l’ouvrage « La salope éthique ».
Comment se passent les cafés polys?
Il y en a au moins un par mois à Toulouse, en ce moment on a plus de monde donc c’est tentant d’en organiser davantage. Il y en aussi ailleurs bien-sûr en France, cela dépend des dynamiques locales.
C’est un espace Safe (sûr), serein, où on ne se juge pas. C’est ouvert aux personnes qui sont d’accord avec un cadre de bienveillance hyper strict. On donne des pistes, des idées, des outils pour que les personnes se sentent en confiance, à l’aise, que la confidentialité soit respectée.
Ce ne sont surtout pas des lieux de drague. Une fille ou un mec poly n’est pas forcément disponible et « openbar » ! Non, ça veut dire non !
Quelles sont les questions qui se posent dans ces cafés ?
Il y en a qui reviennent souvent, telles que : Comment en parler autour de soi ? Comment sortir du placard ? Comment en parler à une personne qui me plaît ? Faut-il en parler tout de suite ? Comment rencontrer des personnes ouvertes à ça ? Faut-il en parler à ma famille ? Comment ouvrir une relation basée sur l’exclusivité ? Comment gère-t-on ses émotions au quotidien ? Comment reconnaître et exprimer ses besoins ? Quelle est la différence entre besoin, attente, désir ? Entre engagement et investissement ? etc.
Tu parles de valeurs partagées par les polyamoureux, peux-tu les préciser?
Je dirais : féminisme, respect, intégrité, transparence, communication, dialogue.
Le polyamour, c’est un outil de connaissance de soi, d’évolution personnelle. Tu te questionnes vraiment. Au lieu d’être la moitié de toi-même et de rechercher l’autre moitié d’orange, tu essayes d’être entier déjà. Et si les gens arrivent à te donner encore plus de bonheur, tant mieux, mais tu as déjà une autonomie affective, une estime de toi. Devenir ami/e avec soi-même. Arrêter d’être si dur/e avec soi.
Une personne disait l’autre fois que depuis qu’elle vit le polyamour, elle apprend à dire oui, à dire non, elle est moins dispersée et s’est recentrée sur elle-même. Elle se sent plus fidèle à elle-même. Plus affirmée.
Le polyamour, ce ne serait pas juste un pur produit de l’individualisme, une incapacité à s’engager, à choisir ?
Oui, c’est possible de se disperser, mais on n’a que 24 heures par jour, donc on ne peut pas trop se disperser si on veut s’investir. Il n’y a pas qu’une forme d’engagement dans le « polyamory », il peut y avoir plusieurs types de contrat, d’engagement, selon la ou le partenaire, il faut négocier à chaque fois et se mettre d’accord.
On n’est pas obligés de mettre tous les oeufs dans le même panier, mine de rien c’est rassurant, on n’est pas dans un schéma binaire. Le but n’est pas d’en faire une religion, un dogme, l’important c’est de l’inventer ce mode de vie.
Et ce n’est pas fatiguant de toujours devoir fournir des efforts de séduction? Ne risque-t-on pas d’être dans une recherche de performance, du genre « lui il a 3 copines, moi je n’ai que lui, il faut que je me bouge »?
Je crois que ça vient d’un certain équilibre par rapport à l’ensemble des personnes que tu fréquentes, même les amitiés. Si t’es pas binaire, du genre « soit t’es mon ami/e, soit t’es ma/mon chéri/e, soit on a plus du tout de relation », ça devient un écosystème, comme dans la nature, tu fais en sorte que le climat autour de toi soit dans l’écoute, dans la non-violence.
Et quand on est dans une relation polyamoureuse, comment vit-on les périodes de début de relation, ces moments passionnés pendant lesquels généralement on se met dans une bulle à deux et les autres ne nous intéressent plus beaucoup ?
Tu peux découvrir ça, cette énergie des débuts, nous on appelle ça NRE en anglais (New Relationship Energy), cette espèce d’état étincelle, d’un coup tout est merveilleux, l’autre devient parfait, tu entres dans un arc en ciel. Mais au bout d’un moment ça devient une habitude, c’est moins magique, comme prendre une douche chaude tous les matins, tu oublies comme c’est génial. Nous on pense qu’on peut vivre ça tout en étant dans une relation plus ancienne avec quelqu’un d’autre. Et tu relativises car tu vis les deux états en parallèle. Tu n’aimes pas de la même façon tout le monde, car les relations n’en sont pas au même stade.
Le béguin du début, soit tu le transformes en long métrage, soit ça reste un court-métrage, et ce qui est génial c’est que tu n’es pas obligé de rompre car après 3 ans ce n’est plus la passion des débuts. Tu sais qu’elle peut revenir. Ce sont des cycles, comme dans la nature, après l’hiver glacial il y a le printemps qui bourgeonne! Il faut relativiser les âges d’une relation.
Et n’est-ce pas difficile de ne pas se sentir unique pour l’être aimé ?
En fait, ça en soulage certains, ils se sentent moins d’obligations, être là tous les soirs à 19h, être parfait partout, être cultivé, bon au lit, etc. Si tu ne combles pas ton ou ta chéri/e à 100%, tu culpabilises moins. D’autres personnes vont l’aider là où je ne suis pas bon. En effet, c’est un travail, mais au bout d’un moment tu te rends compte que c’est pas mal. Il y a plusieurs sources d’oxygène. T’es pas la béquille de l’autre.
Des conseils de lecture pour aller plus loin ?
Oui, ces ouvrages permettent une bonne première approche :
- Vertus du Polyamour, Yves-Alexandre Thalmann
- La salope éthique, Guide pratique pour des relations libres sereines, Dossie Easton et Janet W. Hardy ( On en a parlé ici https://cabinetsdecuriosites.fr/au-fond-des-choses/culture-q/chroniques-litteraires/la-salope-ethique/ )
- Imparfaits, libres et heureux (comment nourrir l’estime de soi), Christophe André
- Revue de presse sur le polyamour : http://amours.pl/medias-liste/
Comment savoir où et quand ont lieu les cafés polys ?
Le mieux est d’aller sur le forum www.polyamour.info
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